Tribune collective publiée le 30 octobre 2020 sur le site de Libération.
Près d’un mois après le référendum, le ministre des Outre-mer poursuit ses consultations sur l’avenir politique du pays. Un signe encourageant pour trouver une solution consensuelle conjuguant les oppositions entre indépendance et autonomie.
Sébastien Lecornu va-t-il parvenir à sortir la Nouvelle-Calédonie de l’impasse ? Près d’un mois après le référendum, le ministre des Outre-mer, vient d’annuler son billet retour et prolonge sa visite sur l’archipel pour « poursuivre ses consultations » sur l’avenir politique. Une annonce surprise et bienvenue qui signe, peut-être, le début d’une discussion de fond entre les élus calédoniens, jusqu’alors drapés dans leurs étendards et leurs convictions.
Pendant trois semaines, les leaders indépendantistes et loyalistes sont apparus inflexibles face au ministre, confortés dans leurs postures par le résultat aussi incontestable que mortifère du référendum, qui a laissé apparaître une Calédonie coupée en deux. Pas de vrai gagnant. Mais un vrai perdant : le dialogue.
Alors que la grande majorité de la population a dépassé depuis longtemps les clivages anciens, la prolongation de la mission de Sébastien Lecornu signifie-t-elle qu’enfin les élus Calédoniens vont sortir de leurs postures et enterrer définitivement le spectre d’un temps que plus personne ne veut revivre, celui où les armes avaient remplacé la raison ?
Nous, membres de la société civile, l’espérons : nos élus doivent être à la hauteur des enjeux. Depuis le scrutin, les leaders indépendantistes affirment ne vouloir parler que d’une chose : les conditions de l’indépendance. Les représentants loyalistes ont finalement appelé à la discussion tout en adoptant pour certains une rhétorique guerrière. Or, comme l’a indiqué le Président de la République, il faut désormais « que les partisans du “oui” acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences du “non” ; et que les partisans du “non” acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences d’un “oui” ».
Nous devons cesser de perdre du temps. Il faut profiter de la dynamique enclenchée par le ministre des outre-mer pour discuter en profondeur, que ce soit pour aller vers un troisième référendum couperet, ou vers une nouvelle solution consensuelle. La tâche sera difficile, exaspérante, dérangeante ; mais elle est surtout exaltante ! En explorant tous les possibles et les impossibles, peut-être convergerons-nous vers une voie insoupçonnée, qui soit à l’image de notre pays ? De multiples chemins se dessineront : de l’indépendance intégrale au fédéralisme, en passant par le maintien de notre statut, ou bien l’Etat associé etc. Examinons toutes les pistes sans dogmatisme, comme l’exige la démocratie délibérative, pour trouver la voie porteuse de l’avenir le plus juste et serein pour l’ensemble de la population de notre archipel.
Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur l’ont fait en leur temps. Nos leaders actuels qui ne cessent de rappeler leurs mémoires doivent être dignes de cet héritage.
Le rôle du gouvernement français sera aussi déterminant. Le premier ministre a promis qu’il répondrait aux interrogations légitimes qui se poseraient dans ce processus délibératif. Nous l’espérons car jusqu’à présent, Paris s’est muré dans un silence discutable.
Pendant la campagne référendaire, nous avons été très mal informés des conséquences possibles de l’indépendance : aucune réponse ferme sur la possibilité d’une double nationalité ; aucune information sur la durée de l’accompagnement de la France en cas d’indépendance, ni sur les montants envisagés pour une telle transition.
Ces questions n’ont sans doute pas gêné les plus dogmatiques d’entre nous. Mais, pour la majorité, c’est-à-dire les autres, les modérés ? Que leur restait-il à part se réfugier dans un vote identitaire ou sécuritaire?
Cette campagne a été celle des approximations dangereuses et des informations non vérifiées car non vérifiables. Une honte pour la raison. Face à une question aussi essentielle que la souveraineté, la démocratie n’exigeait-elle pas que les électeurs connaissent les tenants et les aboutissants des deux options ?
Certes, les Calédoniens ont pleinement conscience de la complexité du dossier pour le gouvernement français : finaliser un processus de décolonisation unique en son genre sans s’enfermer dans des scénarios qui pourraient être perçus comme des engagements. Cependant, face à des enjeux aussi fondamentaux, la politique ne doit pas s’exercer dans le confort, mais dans le courage.
Cette période étant la plus cruciale de notre histoire depuis les Evénements, conscients des enjeux pour nos familles, nos amis et l’ensemble des Calédoniens, notre responsabilité de citoyen nous impose de lancer aujourd’hui un appel à nos dirigeants afin que soit imaginée une solution consensuelle conjuguant les oppositions entre indépendance et autonomie.
Cette prise de position est lourde de sens pour nous signataires. Mais, avant d’être loyalistes ou indépendantistes, nous sommes Calédoniens.
Si les partis indépendantistes souhaitent un troisième référendum couperet, nous nous y conformerons. Mais est-ce vraiment l’intérêt du pays ?
Économiquement, s’engager à réitérer la même question dans deux ans, c’est continuer à plonger le pays dans l’incertitude et le paralyser. Nombre d’entreprises et de particuliers ont déjà suspendu leurs investissements, alors même que l’économie est fragilisée par la crise de la covid-19. Une nouvelle fois, ce sont les « petites gens » qui sont les premiers et les plus impactés.
Politiquement, notre contrat social, déjà ébranlé par des disparités économiques insupportables, risque de se voir atomisé par un tel scrutin qui donnera inévitablement l’image trompeuse d’une Calédonie coupée en deux. Chacun sait qu’une indépendance gagnée en 2022 par une infime majorité, tout autant qu’un maintien dans la France arraché par 1 ou 2% de voix d’écart, ont toutes les chances d’entraîner une confrontation violente.
Dans un contexte de décolonisation, la démocratie ne peut se réduire au comptage des voix. Revenons à une conception noble de la politique. Bâtissons un vrai contrat social porteur d’un projet de société pensé dans l’intérêt de notre pays, pour nos familles, nos amis, nos clans et chefferies.
Ce pays a par le passé relevé le pari de l’intelligence. Nous sommes tous ensemble capables de renouveler l’exercice à condition de cultiver une pensée libre, sans dogmatisme, détachée des ressentiments, mais ancrée dans les réalités d’un monde en changement. La société civile du pays, porteuse de ce souffle, est prête à accompagner les élus calédoniens sur ce chemin.
Signataires (ordre alphabétique) :
Jenny Briffa, journaliste et dramaturge
Pierre Gope, dramaturge
Samuel Hnepeune, président du Medef Nouvelle-Calédonie
Christian Karembeu, footballeur, champion du monde
Antoine Kombouare, entraîneur de football
Christophe Sand-Cubadda, archéologue